Le Puzzle du ciel bleu

Pour un écrivain, son enfance, sa jeunesse, sa vie n’ont pas une réalité fixe: il les a trop souvent réécrites pour que le souvenir qu’il en reste soit autre chose qu’un rêve. Le passé est devenu un palimpseste, un texte continu qui recouvre les bribes d’un manuscrit initial presque entièrement effacé. La mémoire, quand elle veut y retrouver un détail, a désormais affaire, non aux souvenirs directs, mais aux souvenirs de souvenirs.

Si on cherche à comprendre ce qui s’est réellement produit, à un moment donné et lointain de son existence, aussitôt les détails les plus précis et les plus réels sautent à l’esprit. Mais ils n’ont pas grand-chose à voir avec une captation objective : l’écrivain relie simplement, en remontant le cours du texte et du temps, l’expérience intime aux bribes d’une vie qui n’a pas vraiment été vécue. Ou si elle a été vécue, ce n’était pas par lui, mais par son double.

Il s’agit d’un reportage imaginaire à travers l’inconnu.

L’écriture possède une vaste mémoire du monde. L’écriture, pas l’écrivain. L’expérience de l’écriture est plus précise, plus sensible et plus près du cœur que l’image rapide et fissile du court moment mortel que nos yeux, peut-être, ont capté. Et on ne peut jamais, jamais revoir ce qu’on a vraiment vécu : il faut un effort d’invention pour rattacher à la forme actuelle du monde, au déroulement de son histoire, le minuscule déclic initial.

L’écriture consiste à reconstruire le réel pour atteindre à un état de vérité de soi-même qui dépasse et comble ce qui était, de toute apparence, une vue fausse, une illusion. Elle ramasse au hasard de l’imaginaire (et plus rarement, de la mémoire sensible), des fragments de toutes formes, pièces d’un puzzle aléatoire, pour reconstituer, dans sa permanence, dans sa sérénité, un reflet de ciel bleu.

Ce ciel bleu, bien sûr, n’existe pas.

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